Je n'ai pas peur de ce qu'ils pensent de moi, j'ai peur qu'ils aient raison.
La vie n'est pas un long fleuve tranquille, surtout à Lucidalia. Mais pour Mevith, tout commençait assez calmement dans les foyers de la ville, comme pour beaucoup d'autres. Le futur de leur communauté était bien entouré et choyé; on avait à cœur de les préparer à être des éléments utiles et volontaires de leur société en reconstruction dans ce monde hostile. Tous ne recevaient pas cet enseignement de la même manière. Pour le petit garçon qu'il devenait au bout de quelques années de vie, tout cela était d'un très grand sérieux.
Sans qu'on lui inculque la chose avec une telle raideur il prit rapidement très au sérieux l'idée que lui et ses petits camarades se devaient d'être utile. Il se rendit également compte assez rapidement que bonne volonté ne faisait pas tout. Mevith grandissait en un petit plein de curiosité, qui retenait tout ce qu'on lui apprenait, et qui semblait ne jamais devoir sortir de cette phase infantile où l'on pose des questions sur tout. Chaque non réponse sonnait comme un échec cuisant pour le gamin.
Ses parents, à ce sujet mais pas uniquement, ne faisaient pas exactement figure de modèles pour lui. Les deux paraissaient moins intéressés par leur fils que par leurs affaires personnelles, et il ne prit pas de l'âge en apprenant à les apprécier, loin de là. De figures qui troublaient l'enseignement de ses tuteurs, ils devinrent de vrais repoussoirs pour Mevith à l'adolescence, lorsqu'il comprit un peu plus pourquoi tous les regardaient d'un air gêné au foyer. Ils faisaient partie de la Pègre de Lucidalia. Sans que le sujet ne soit jamais abordé, ils se virent de moins en moins, laissant le jeune homme se concentrer sur ce qui prenait de plus en plus de son temps : les études.
L'enthousiasme de la jeunesse le portait vers le monde des sciences, et ses capacités lui permettaient de rejoindre les rangs de l'université Lumina. Le cursus se présentait comme long et exigent, la Guilde ne voulant pas entretenir des oisifs, il fallait prouver son implication régulièrement. Une formalité sur le papier, un vrai parcours du combattant dans les faits. Le jeune homme s'intéressait à des sujets peu courants, originaux. Et la créativité était valorisée, tant qu'elle amenait des résultats concrets suffisamment rapidement. Enfin, la plupart du temps...
Les années s'empilaient comme les papier sur son bureau, mais l'hypothèse de travail de Mevith, à savoir que l'étude des restes archéologiques et de l'éventuelle taphonomie de leur île pourrait éclairer la compréhension présente de la Corruption, n'était pas exactement prise au sérieux. Ses travaux ne rentraient pas bien dans les cases prévues à cet effet, il se retrouvait sous la houlette de l'Observatoire des Explorateurs par défaut, et les grandes expéditions aux financements importants le voyaient, au mieux, rejoindre le rang comme membre de fortune, où il devait effectuer ses recherches à la va-vite à coté de l'assignation de mission.
Après des années entières à enchaîner de la sorte, à risquer sa vie pour les recherches des autres tout en se voyant nié toute reconnaissance, l'humiliation devint trop grande pour être supportée sans rien y faire. Car il ne pouvait pas abandonner, il en avait vu assez pour savoir qu'il avait raison, qu'il ferait les découvertes prouvant indiscutablement que ses recherches étaient utiles. L'amertume, déjà bien ancrée, porta des fruits lourds de ressentiment, et il y mordit.
Il n'avait aucune idée où en étaient ses parents dans la Pègre. Il ne passa même pas par eux pour contacter l'organisation. Et, aussi coûteux que cela puisse être à admettre, Mevith fut presque mieux reçu. On prit un bien malin plaisir à le rabaisser et à profiter du fait qu'il venait demander sa dernière option, mais, dans toute sa vilénie, le Dux de l'argent sale et des dessous de table accordait plus de crédit à l'archéologue sans le sou que tous ses supérieurs académiques réunis.
Ne restait plus qu'à continuer de lui ramener suffisamment de résultats à son goût...